La présence d’enfants dans un hôtel « adults only » peut-elle fonder un préjudice moral ?
La cour d’appel de Colmar vient de rendre un arrêt singulier relatif à la possibilité d’indemniser un préjudice moral né de la seule présence d’enfants dans un hôtel présenté comme « adults only » (CA Colmar, 17 nov. 2025, n° 24/03500).
Dans les faits, le voyageur avait réservé un hôtel présenté comme « intimiste » et « adults only ».
Sur place, il constate la présence de plusieurs familles accompagnées d’enfants et prend quelques photographies montrant des enfants présents dans les espaces communs.
Le voyageur soutenait que cette présence contredisait les caractéristiques essentielles du séjour et avait, par ailleurs, ravivé une situation personnelle difficile, liée à une séparation récente et à des modalités de garde restrictives.
Le tribunal de proximité de Haguenau avait rejeté l’intégralité de ses demandes, estimant que la présence rapportée d’enfants ne suffisait pas à démontrer un trouble objectif ni un préjudice prévisible (TJ Strasbourg, Haguenau civil, 19 sept. 2024, n° 24/00515).
La cour d’appel de Colmar a adopté une position inverse. Après avoir écarté la faute du voyageur consistant à n’avoir formé aucune réclamation au cours du séjour, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une non-conformité et la responsabilité du voyagiste en résultant, pour accorder au voyageur 600 € de réduction de prix ainsi que 400 € de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Or, cet arrêt nous semble critiquable à plusieurs égards : outre le fait que la cour d’appel a commis une erreur de droit en ne tirant pas les conséquences du manquement du voyageur (1), d’une part, elle octroie une réduction de prix sans caractériser l’existence d’un préjudice certain (2), d’autre part et surtout, elle accorde une indemnisation au titre d’un préjudice moral qui nous paraît difficilement justifiable (3).
- Sur l’erreur de droit : la cour neutralise l’obligation d’informer l’organisateur de toute non-conformité
La première difficulté soulevée par l’arrêt concerne la manière dont la cour d’appel traite l’obligation, pour le voyageur, d’informer l’organisateur dans les meilleurs délais de toute non-conformité constatée. Selon l’arrêt :
« Le fait que M. [E] n’ait pas contacté l’agence de voyages durant le séjour pour se plaindre de la non-conformité contractuelle est sans incidence dès lors que la responsabilité de l’agence de voyage et l’indemnisation du voyageur ne sont pas conditionnées à une telle démarche. »
Or, l’article L. 211-16 du Code du tourisme prévoit que « le voyageur informe l’organisateur ou le détaillant, dans les meilleurs délais eu égard aux circonstances de l’espèce, de toute non-conformité constatée lors de l’exécution d’un service de voyage inclus dans le contrat ». Cette exigence ne fait que reprendre un principe général du droit des contrats, selon lequel le créancier doit alerter le débiteur pour lui permettre de remédier à sa défaillance.
La jurisprudence admettait d’ailleurs, avant même l’intégration de cette obligation dans le Code du tourisme, que l’absence de réclamation immédiate prive le professionnel de la possibilité de proposer une solution de remplacement et constitue une faute contractuelle excluant toute indemnisation (CA Paris, 29 mai 2008).
En écartant cette obligation légale, la cour a commis une erreur de droit, sachant que le voyagiste, s’il avait été informé en temps utile, aurait pu organiser un relogement dans un autre établissement respectant effectivement le critère « réservé aux adultes », afin de remédier à la situation dénoncée.
Au demeurant, de manière générale, le fait que le voyageur n’estime pas nécessaire de faire état immédiatement de l’inexécution laisse présumer qu’elle ne lui cause pas un réel préjudice.
- Une indemnisation au titre de la non-conformité non justifiée par un préjudice certain
La cour d’appel a jugé que la présence d’enfants dans l’hôtel justifiait une réduction de prix.
On peut concevoir, à la marge, que la non-conformité objective, l’hôtel n’étant pas exclusivement fréquenté par des adultes, justifie un ajustement tarifaire.
Toutefois, l’arrêt ne caractérise pas véritablement le préjudice matériel correspondant à cette non-conformité, alors même que le voyageur ne produisait aucun élément permettant de démontrer qu’il n’avait pas pu profiter pleinement de l’hôtel ou que son séjour avait été significativement dégradé.
Le tribunal de proximité avait, sur ce point, constaté l’absence d’éléments probants montrant un trouble concret. Les photographies produites montraient un environnement calme, peu fréquenté, et ne laissaient apparaître aucun comportement perturbateur. Au demeurant, on peut s’interroger sur le caractère légitime de la production de clichés d’enfants pris sans le consentement de leurs représentants légaux…
La cour, sans prendre la peine de contredire cette analyse, se contente d’allouer une somme forfaitaire (ce que prohibe pourtant la jurisprudence de la Cour de cassation), sans expliciter en quoi la non-conformité aurait causé un préjudice économique mesurable.
- Sur la caractérisation d’un préjudice moral résultant de la seule présence d’enfants
L’octroi de 400 € au titre d’un préjudice moral est l’aspect le plus discutable de l’arrêt.
La cour retient que le voyageur a « subi une déception » en raison de la présence d’enfants, alors qu’il avait choisi un hôtel réservé aux adultes au regard de sa situation personnelle.
Or, il apparaît difficile d’admettre qu’un préjudice moral puisse résulter de la simple présence d’enfants.
À cet égard, l’arrêt résonne avec la polémique qui a entouré les hôtels « adults only », le Haut-commissaire à l’Enfance ayant dénoncé une tendance « brutale » qui verrait l’enfant comme une nuisance à éviter (par exemple : https://www.lefigaro.fr/voyages/le-gouvernement-peut-il-interdire-les-hotels-sans-enfants-20250527).
Toutefois, il ne s’agit pas ici d’entrer dans ce débat, d’autant qu’aucune règle n’interdit de réserver l’accès d’un établissement aux personnes majeures lorsque cela repose sur des considérations légitimes, comme la proposition d’activités elles-mêmes interdites aux mineurs (même si tous les hôtels « réservés aux adultes » ne le sont pas toujours pour protéger les mineurs, mais parfois pour offrir aux adultes une tranquillité supposée).
En revanche, ce qui nous paraît critiquable en l’espèce, c’est qu’il puisse être jugé que la présence d’enfants, en tant que telle, suffit à caractériser un préjudice moral.
Le tribunal avait relevé que le préjudice invoqué n’était pas « prévisible » au moment du contrat, puisqu’il reposait sur des considérations strictement personnelles et subjectives, liées à la psychologie du demandeur et non à une quelconque caractéristique objective du séjour.
Or, plus que de ne pas être prévisible, ce préjudice ne devrait pas être concevable.
En effet, il n’apparaît pas acceptable de prétendre qu’un préjudice moral puisse naître de la seule présence d’une catégorie d’individus (à ce titre, il avait été refusé de caractériser l’existence d’un préjudice « découlant de l’embarquement de touristes australiens » sur un bateau de croisière : CA Aix-en-Provence, 1er octobre 2009).
Il est donc souhaitable que cette décision demeure un accident jurisprudentiel plutôt qu’un virage conceptuel.